vendredi 1 novembre 2013

La vie est un spectacle de haute voltige

Cet article va peut être te faire peur (mais je ne suis pas hors contexte, c'était Halloween hier), te faire pleurer, t'inquiéter mais j'espère aussi te faire sourire. Sors ta boite de mouchoirs, prends toi une petite camomille, mets ton sous ton plaid et moi, je vais tout te dire, histoire qu'entre toi et moi, tout soit clair.

1. Apogée de la banane ou pourquoi j'aime être assistante

Lundi 28 octobre, premier jour de tempête à Lübeck mais aussi, premier jour avec mes élèves. Je me lève le matin comme une fleur, je suis stressée mais absolument impatiente de voir les petites bouilles de mes élèves, je pars en avance, j'arrive à l'école et je me présente une nouvelle fois aux collègues que je n'avais pas encore rencontré. 

Ça y est, c'est l'heure de mon premier cours, j'entre dans la classe précédée par une prof' absolument adorable, elle fait un petit point avec ses élèves, je sens les regards interrogateurs, puis vient MON moment. D'abord très tendu voyant le niveau débutant de mes élèves, je m'avance et je leur propose un petit interrogatoire. Je me détend au fur et à mesure des questions et je prends plaisir à leur parler de ce que j'aime, ce que je n'aime pas et je sens que le partage me plaît déjà. Puis vient la deuxième heure, je me rends dans une classe de petits bouts de choux de 10 ans, je commence de la même manière, ils me posent des questions, s'interrogent, sont curieux et me regardent comme si j'étais la France en personne. Leurs yeux pétillants me collent la banane et je me plais à leur mimer tout ce que je leur dit, à faire le clown et leurs rires m'envoient aux anges. Je passe entre les rangs pendant leurs exercices écrits, mes petits élèves sont ravis, ils sont si contents que je leur explique un par un leurs petites fautes maladroites et moi je me plais à jouer les maîtresses attentionnées.

Les classes suivantes, où les élèves sont dans l'âge ingrat de l'adolescence ("toi même tu sais" comme dirait ma génération à cette même époque), certains jeunes garçons que leurs hormones titillent se la jouent un peu, me demande ma situation maritale en appuyant leurs fins de phrases par quelques coups de coude au voisin et à quelques clins d’œil appuyés. Cependant, ça m'amuse et me rappelle que fut un temps, nous étions (toi comme moi) un peu idiot. 

Bref, ma matinée se passe à merveille et je suis déjà enthousiaste à l'idée de retrouver mes classes et de continuer à m'éclater en leur enseignant les tumultes de ma langue. A 13h30, je reprend ma voiture, j'allume mon Ipod, j'ai la patate, le soir même j'ai une dégustation de vin et de fromage et je suis invitée à un spectacle de théâtre, tout va bien dans le meilleur des mondes. Je sors du lycée à bord de ma petite twingo, je tourne à gauche, et...  plus rien. 

2. La faucheuse m'a reluquée ou comment je l'ai échappé belle

A 13h30, une voiture m'a percutée à plus de 70km/h du côté conducteur. Je ne peux pas te décrire le choc et je ne vais pas te mentir, je n'ai rien senti et je n'ai pas souffert. Je ne me souviens que de deux choses juste après le choc, la musique de mon Ipod "Geht Auseinander" de Wir Sind Helden et la chaleur du sang sur mon visage que j'ai trouvé sur le coup très agréable. J'ai essayé d'ouvrir ma portière, j'ai sûrement détaché ma ceinture, je me suis laissé tomber comme une poupée de chiffon sur le côté passager, j'ai vu une femme par la fenêtre, j'ai tendu mon bras comme je pouvais, j'ai ouvert le loquet, je ne voyais plus de mon oeil gauche. Ma vue complètement troublée par la couleur du sang, des gens m'attrapent, on m'extirpe de la voiture, on me maintient la tête, elle me tourne, je marmonne en allemand le nom de ma tutrice et celui de mon école. Je supplie qu'on appelle ma mère. Je titube, on me tient, l'ambulance arrive. On m'allonge, me promet que je ne perdrais pas mon œil, que tout va bien se passer, on me cale la tête avec un collier cervical. J'ai peur. Je sens que si je ne m’accroche pas, si je me laisse aller, ma tête pourrait me lâcher et mon corps suivrait. La mort, je sais qu'elle me reluquait du fond de l'ambulance avec sa grande fauche, elle aurait pu me la prendre la vie et l'ajouter à sa collec' mais ma twingo et mon étoile en avait visiblement décidé autrement. 

Je suis emmenée en urgence à l’hôpital de Lübeck, on découpe mon pull, on me place toutes sortes de trucs sur la peau, on m'explique qu'on va vérifier l'état de ma tête et de mon squelette en général. Dans le coltard, je demande bêtement si j'ai le droit de respirer pendant le scanner, l'infirmière désolée de mon état, me sourit d'un air maternel "Ja, natürlich". Examen passé, tout est miraculeusement parfait, même pas une côté fêlée, mon crâne va bien et l'état d'urgence s'amoindrit. Mais j'ai toujours peur, on mesure ma blessure, je pose la question : "Comment est mon visage ?". On me décrit... Je suis ouverte sur environ 20 cm près de mon oeil et j'ai eu visiblement de la chance de ne pas le perdre. Je frémis mais je ne réalise pas. 

Je passe au service de chirurgie du visage et des yeux, les ambulanciers qui m'y emmènent sont absolument adorables, l'un des deux s'assoit près de moi et me parle de ce qu'il sait sur la France. Il me trouve courageuse, je lui dis que j'ai peur, que j'ai peur pour mon visage, d'être défigurée, de porter pour toujours les stigmates de mon accident. Il me sourit et d'un air protecteur me glisse, "Mais mademoiselle, même avec du sang sur le visage et l'air fatigué, vous êtes belle alors vous le serez toujours." Je souris, j'ai envie de pleurer mais d'émotion parce que pour la première fois depuis les quelques heures chaotiques de mon accident, on me parle comme à une vraie personne et on me réconforte avec chaleur. En partant, les deux me sourient, me souhaitent bon courage et je les entends du fond du couloir murmurer "Elle est si mignonne". Je me sens un peu mieux. Viens le moment que je redoute, pour la première fois de ma vie je me fais recoudre, les chirurgiens m'expliquent tout, ils m’anesthésient tout le long de la plaie, ça fait un mal de chien. Puis ils m'annoncent 30 minutes pour tout recoudre. Je ferme les yeux, je commence un peu à m'abandonner. Je pense à ma mère, à ma famille qui ne savent pas encore que le sort m'a frappé en plein vol. Qu'est ce que je vais dire... Qu'est ce qu'ils vont penser. Je suis à 1400 kilomètres, à l'hôpital, plus fragile que jamais et eux ne savent encore rien et je vais devoir annoncer "Maman, j'ai eu un accident. Je vais bien, mais... Les "mais" ça promet jamais rien de bon dans ces cas de figure mais ils sont obligatoires.  

L'une de mes collègues m'attend dehors, on me prévient, je me sens moins seule et j'ai déjà hâte de la voir. Elle entre, je lui demande comment je suis, elle me glisse que c'est rien, que je suis toujours aussi jolie, que c'est une question de temps mais je sens que ce n'est pas joli à voir. Je me vois dans le miroir. Je ne pleure pas, mais au fond de moi je me sens défigurée. Ouverte du front jusqu'au coin de mon oeil, j'ai peur, où est Amandine sous cette balafre ?  Où est parti mon oeil en amande sous cette coupure béante sur mon visage ? 

3. Miraculée ou comment mon corps fait des merveilles

Les médecins, ma soeur qui est arrivée mardi et les gens qui m'ont suivi dans le début de ma convalescence peuvent te le dire. Le mercredi, je marchais déjà normalement et plus comme une mamie de 90 ans. Mon oeil reprenait déjà forme humaine et ma progression est à peine croyable. Je cicatrise bien et mon corps se remet étonnamment vite en forme. Je suis sortie de l'hôpital jeudi et très contente car ceux qui me connaissent savent combien je hais l'hôpital et combien je hais qu'une seringue s'approche de moi. Hors, sur ce sujet, j'ai été gâté... 5 piqûres anesthésiantes, 1 vaccin pour le tétanos, 3 perfusions par jour d'antibiotique, 1 piqûre par jour dans la cuisse et 2 prises de sang (je ne compte pas le bonus nocturne de la perfusion de calmant pour mes angoisses nocturnes). 

Je suis donc devenue plus courageuse sur le sujet médical, j'ai pris sur moi et avec le sourire. Alors, oui j'ai pleuré seule devant mon miroir, dans les bras de ma soeur, dans le fond de mon lit et j'ai même pleuré sur les toilettes mais ne t'inquiètes pas, j'ai souri aussi. J'ai souri parce que malgré tout, c'est ce que je sais faire de mieux, avoir la banane et prendre sur moi. Je suis fière de moi parce que je m'en sors bien mentalement et même si j'ai peur la nuit et bien, j'essaye de voir la lumière au bout du tunnel.

4. Épilogue

Tu vas peut être te dire que j'exagère, que je romance et libre à toi de le penser. Tout ce que je viens de te confier, c'est mon ressenti, c'est mon coeur plus que que mon cerveau un peu perdu qui te le dit. Cet accident, je le croyais pas si violent avant de voir ma voiture. Elle m'a sauvé la vie... Mon siège est plié en deux et ma portière est rentrer d'au moins 60 cm sur moi, sans compter les morceaux de tôle qui auraient pu me transpercer de part en part. Je me demande encore comment je m'en tire si bien. Parce qu'après tout, n'est ce pas qu'une cicatrice, les cicatrices s'estompent et nous forgent sans parler qu'il existe aujourd'hui de multiples manières d'être belle à nouveau. Même ma soeur ne pensait pas que mon accident avait été si violent et j'ai conscience dorénavant d'avoir eu un grave accident mais aussi d'être une miraculée de la route.

Maintenant s'il te plaît, ne t'inquiètes pas. Je vais bien. Je rentre en France un peu pour me remettre de tout ça et si tu me croises, s'il te plaît, ne t'arrêtes pas à cette vilaine balafre, regarde moi comme tu m'as toujours regarder. Ne te prends même pas de pitié, car la vie c'est ça aussi, c'est parfois d'être fauché en plein vol mais être faucher ne veut pas dire que tout s'arrête. Moi aujourd'hui, j'ai plus envie que jamais de vivre et surtout, je ne veux pas être juste "la pauvre fille qui a eu un accident". Ça prendra un an, deux ans pour que tout ça s'estompe mais c'est quoi un ou deux ans quand on a échappé à la mort ? J'ai hâte de retrouver mes petits élèves, de leur dire que je suis la femme de Frankenstein, de les entendre rire et moi de sourire.

La vie, je l'ai compris, c'est comme un spectacle de haute voltige, parfois on chute, le public retient son souffle, puis on reprend le grand spectacle de la vie, parce que c'est comme ça. Ma chute finale, c'était pas celle la alors on continue et puis on sourit parce que le spectacle continue. 

Celle dont tu dois te souvenir et celle que, bientôt, je serais de nouveau

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